HISTORIQUE
Il y a 25 ans, j’ai publié la première édition de mon Lexique aux Éditions La Presse. C’était le fruit de mon travail de conseiller linguistique, d’abord au Soleil, puis à La Presse. La première édition portait le titre de Lexique des difficultés du français dans les médias. C’était bien trop longuet. En tant que supposé spécialiste des titres au journal, j’ai encore un peu honte aujourd’hui de cette interminable formulation. D’autant qu’elle laissait croire que ce guide ne s’adressait qu’aux membres des médias. Or je l’avais rédigé pour toute personne qui, dans le cadre de son travail ou de ses études, avait à écrire ou à parler en public.
Malgré tout, grâce aux chroniques favorables de Lysiane Gagnon et de Pierre Foglia, les 2000 premiers exemplaires se sont rapidement envolés, à tel point qu’il a fallu en rééditer 1000 autres. La deuxième édition de cet ouvrage a été publiée en 2000 et la troisième en 2004. Au total, quelque 10 000exemplaires ont été écoulés.
J’ai continué à prendre des notes en vue d’une quatrième édition. Mais il est apparu qu’une nouvelle parution n’était pas dans les plans de l’éditeur. De plus, j’avais été recruté pour un blogue sur le tennis, pour le site web de La Presse. Il s’agissait d’une nouvelle affectation, totalement imprévue et très excitante, qui me prenait beaucoup de temps. Je ne m’en plains pas ; elle arrivait à point nommé. Je tenais déjà un autre blogue, celui des Amoureux du français, où j’essuyais fréquemment les critiques des partisans d’un français très québécois. Après avoir été pendant une quinzaine d’années responsable de la qualité du français au journal, je commençais à trouver cette responsabilité lourde à porter. Bref, j’étais à deux doigts et quelques virgules d’un épuisement linguistique et professionnel. Pour ma santé mentale, j’ai quitté le blogue des Amoureux du français, abandonné mon poste de conseiller et renoncé à la quatrième édition du Lexique.
Ce n’est que l’an dernier, après avoir écrit mon autobiographie, que j’ai repensé à une nouvelle édition. Les Éditions La Presse ont accepté, fort aimablement, de me laisser la publier sur l’internet. Au départ, j’avais l’intention d’y ajouter les quelque 200 mots pour lesquels j’avais pris des notes. Mais assez rapidement, il m’est apparu que cette nouvelle version3devait être revue en profondeur. Il ne me paraissait plus suffisant d’ajouter des entrées et de rafraîchir les exemples. Près de 20 ans s’étaient écoulés. Il me fallait tenir compte de l’évolution du français, au Québec comme en France. Des mots ou des expressions critiqués au début des années 2000, par exemple, étaient passés dans l’usage. Continuer à m’y opposer n’avait plus de sens. D’autres entrées, sans être incorrectes, méritaient plus de nuances.Quelques condamnations me semblaient excessives. Mon opposition aux aménagistes était trop systématique.
Je me suis donc attelé à la tâche de réécrire cet ouvrage. Je ne saurais dire combien d’entrées ont été finalement retouchées. Plusieurs centaines sans doute.Sur l’essentiel cependant, ma conviction profonde n’a pas changé : la langue que l’on parle et que l’on écrit chez nous ne peut être fondamentalement différente de celle que l’on parle et que l’on écrit ailleurs dans la francophonie.
Certes, le français d’Amérique a une couleur propre. L’isolement qui a suivi la Conquête, l’éloignement de la mère patrie, l’omniprésence de l’anglais sur ce continent, de même que les différences culturelles, économiques et sociales, font que le français d’ici ne peut être identique à celui de la France.Il est normal que les Québécois tiennent à un certain nombre de mots et d’expressions qui leur font propres. La plupart préféreront toujours traversier à ferry-boat, vol nolisé à charter, magasinage à shopping, banc de neige à congère ou courriel à e-mail, pour ne donner que quelques exemples.Et c’est très bien ainsi.
Comme je l’ai souvent dit, il est parfaitement normal qu’il y ait des différences. Mais je me suis toujours empressé d’ajouter : il n’est pas souhaitable qu’il y en ait trop. Or, il y en a trop. Bien trop !
La reconnaissance d’une norme québécoise ne doit pas engendrer deux langues différentes. Je veux bien me rallier à un français québécois. Mais à une condition : qu’il soit plus français que québécois. Bref, le français doit rester notre langue. Sinon, tant de luttes pour sa survie n’en auront pas valu la peine.
Dans Écrire son français, Josée Gaudet affirme : « … laissée totalement à elle-même, la langue québécoise serait susceptible de devenir un être hybride, mélange de français, d’anglais, de français ancien, entrecoupée de touches amérindiennes et de créations originales québécoises. Une langue4donc, incompréhensible pour un non-Québécois. »
Cette langue hybride existe déjà : c’est celle de la plupart de nos films et de nos séries. Celle aussi d’une partie de la population. Elle est incompréhensible pour un non-Québécois, bien sûr. Mais également pour nos compatriotes anglophones ou allophones. Elle est même difficilement compréhensible pour les Québécois francophones issus de l’immigration.
À une époque où le Québec n’a jamais été aussi diversifié et où les échanges avec le reste de la francophonie n’ont jamais été aussi nombreux, à l’ère de l’internet et de la mondialisation, est-ce bien ce que l’on veut ?
Ces précisions étant faites, mon Lexique reste un guide qui évite les condamnations et les dogmatismes. Lectrices et lecteurs pourront s’y informer, quitte à faire ensuite leurs propres choix.
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