Anglicismes

 

Faut-il bannir systématiquement tous les anglicismes ? Non bien sûr. Qu'il s'agisse d'un emprunt direct, d'un calque ou d'un faux ami, il faut se demander si l’anglicisme comble un besoin et s’intègre bien au français ou, au contraire, s'il concurrence une locution ou un mot pour lequel notre langue possède déjà un ou plusieurs équivalents.

 

Le mot approche, par exemple, a pris, sous l'influence de l'anglais, le sens de « manière d'aborder un sujet », comblant du même coup un besoin. Ce sens est entériné aujourd'hui par les dictionnaires. Autre exemple : le français a emprunté à l'américain (bank) le terme banque au sens de banque d'aliments, de données, de sang, des yeux, etc. Ces emprunts comblent un manque certain.

 

Parfois, le besoin comblé est plutôt superficiel. Réaliser au sens de se rendre compte, par exemple, est un faux ami dont le français aurait sans doute pu se passer. Mais c’est le genre d’emprunt que les traducteurs aiment bien. Il a la même longueur que le mot anglais et se prononce presque de la même façon, ce qui facilite d’autant le doublage des films, des pubs ou des émissions de télé. Et comme le sens anglais de réaliser n’entre pas en conflit avec son sens français,il a fini par passer dans l’usage.

 

Nombre de ces emprunts sont si bien intégrés au français qu'on ne les perçoit plus depuis longtemps comme des corps étrangers.Mentionnons, entre autres, les locutions ou composés donner le feu vert, gratte-ciel, lune de miel, négocier un virage, papier-monnaie,pénaliser, soucoupe volante ou table ronde.

 

On rencontre, bien entendu, des cas limites. Certains calques s’intègrent assez bien à notre langue, mais font concurrence à des expressions typiquement françaises. La locution ne pas être sorti du bois en est une. C’est un calque de not to be out of the woods, mais pour un Québécois, c’est une image plus naturelle que ne pas être sorti de l’auberge. On peut, il est vrai, choisir une autre tournure comme ne pas être au bout de ses peines ou ne pas voir le bout du tunnel. Mais,à la fin, c’est au rédacteur de choisir.

 

D’autres emprunts sont pour ainsi dire passés dans l’usage. Et s’ils ont parfois des équivalents français, ces équivalents sont rares. C’est le cas, par exemple, de remake, dont l’emploi est beaucoup plus fréquent que nouvelle version, tout en étant plus court. D’autres mots anglais bien intégrés au français peuvent être considérés comme des synonymes. C’est le cas, par exemple, de parking, qui concurrence parc de stationnement ou parc-autos. Ici encore, il appartient au rédacteur de choisir.

 

En revanche, dans beaucoup de cas, il m’apparaît opportun de combattre emprunts, calques et faux amis.C'est le cas notamment lorsque l'emprunt s'intègre mal au français.Une appellation comme bed and breakfast, par exemple, fait tache dans notre langue. C’est pourquoi plusieurs traductions ont été proposées, certaines avec succès.

 

C’est aussi le cas lorsqu’un emprunt tend à se substituer à un ou des mots déjà solidement implantés dans l’usage. Ainsi, le composé black-out a d'abord été emprunté à l'anglais pour désigner une « mesure de défense antiaérienne qui consistait à plonger un lieu dans l'obscurité totale pendant la Deuxième Guerre mondiale ». Mais il constitue un anglicisme inutile tant au sens de panne de courant qu'au sens de délestage ou de coupure d'électricité.

 

C'est encore le cas lorsque l'emprunt tend à se substituer à un ou plusieurs mots français souvent plus précis. Site constitue un bon exemple de dérive sémantique. Ce terme désigne d'abord en français un « paysage d'une grande beauté ». Il s'emploie aussi pour parler d'un lieu « considéré du point de vue de son utilisation ». C'est ainsi qu'on parlera d'un site archéologique, d'un site industriel, d'un site militaire ou d'un site urbain. Son équivalent anglais a, quant à lui, un sens beaucoup plus étendu : il désigne à peu près n'importe quel lieu — un dépotoir tout autant qu'un paysage hors du commun —, ce qui a engendré plusieurs anglicismes. Certains sont déjà trop solidement implantés pour qu'on puisse s'y opposer. C'est le cas, entre autres, d'un site internet. Mais il vaut encore la peine de s'opposer à l'extension de site au sens de centre, emplacement, endroit, gisement, lieu, place,siège, terrain, théâtre, ville, etc., ne serait-ce que par souci de variété.Il faut également combattre le faux ami lorsqu'il entre en conflit avec le sens français d'un mot. Le verbe supporter en est un bon exemple.

Dans notre langue, supporter quelqu'un, c'est l'endurer. Mais sous l'influence de l'anglais, on donne aujourd'hui à ce verbe le sens de soutenir, aider, appuyer, accorder son soutien à, financer, subvenir aux besoins de. Ces emprunts engendrent parfois une grande confusion. Quand l’ex-premier ministre Bernard Landry, par exemple,affirme qu'il supportait Jacques Parizeau, au lendemain du référendum de 1995, doit-on en conclure qu'il l'endurait, faute de pouvoir s'en débarrasser, ou qu'il l'appuyait?

 

Autre exemple éloquent : le verbe contrôler, qui, sous l’influence de l’anglais, est devenu une source permanente de confusion. Si vous lisez, par exemple, que « le gouvernement veut contrôler son budget »,devez-vous en conclure qu’on vérifiera davantage les dépenses (sens français) ou qu’on tentera de les réduire (sens anglais) ?

 

Autre problème : le calque crée parfois une impression d'étrangeté en français, « les références culturelles et les images n'étant pas les mêmes », fait-on remarquer avec justesse dans l'introduction du Dictionnaire des anglicismes du Robert. Ainsi, le sens de la locution de la bouche du cheval (from the horse's mouth) n'est pas évident en français. C'est pourquoi il faut la traduire de façon moins littérale.Dans beaucoup de cas, l'expression de source sûre convient très bien.Autre exemple : l’expression signer un joueur, au sens de embaucher un joueur, lui faire signer un contrat, le mettre sous contrat, est une aberration grammaticale en français. Elle est de plus parfaitement inutile.

 

S’il est vrai que certains anglicismes comblent un besoin et s’intègrent bien, d’autres ne correspondent pas au génie du français, faisant de notre langue une mauvaise copie de l’anglais. Certains faussent même carrément le sens des mots français. C’est pourquoi, en cette matière,la vigilance s’impose.